Prof. Hajer Gueldich, Professeure agrégée en Droit international aux Universités de Carthage et de Kairouan- Tunisie
Membre élue de la Commission de l’Union africaine pour le Droit international (CUADI)
Bien que la Tunisie soit considérée comme un pays pionnier en matière de protection des droits des femmes dans le monde arabe, beaucoup de femmes restent victimes de discrimination dans de nombreux domaines et certaines sont soumises à tout genre de violence, comme le prouvent plusieurs statistiques et études nationales et internationales récentes, faites en la matière.
Si la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée en 1993 par l’Assemblée générale des Nations unies, atteste d’une reconnaissance internationale du fait que la violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, il n’y avait aucun texte spécifique aux violences familiales en Tunisie, avant la date du 26 juillet 2017.
En effet, en ce jour, une nouvelle loi intégrale (loi organique n°60-2016 du 26 juillet 2017) a été adoptée par l’Assemblée des Représentants du peuple, portant sur l’interdiction de la violence à l’égard des femmes et notamment sur les violences familiales, une loi dont l’idée remonte à 2006 mais qui a pu enfin se concrétiser en 2017, après un long combat initié par les associations et par la société civile tunisienne. Ce fut une étape décisive pour les droits des femmes en Tunisie.
Exigée par la société civile depuis des décennies et prescrite par la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, selon laquelle « l’Etat s’engage à protéger les droits et les acquis de la femme et œuvre pour les développer (…). L’État prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme» (article 46), l’élimination des violences à l’égard des femmes est maintenant un fait. C’est ainsi que la loi organique du 26 juillet 2017 a été votée à l’unanimité des députés présents, tous unis autour de l’idée que les violences contre les femmes ne sont pas des affaires d’ordre privé, mais elles concernent désormais l’Etat et que leur éradication est garante de la paix et de la sécurité de la société toute entière. Par ailleurs, il faut rappeler que la Tunisie est classée 19ème sur la liste des pays qui ont opté pour une loi intégrale contre la violence de genre et se distingue comme étant la première à l’échelle arabe et africaine.
A étudier ce texte de près, il est primordial de faire le bilan des acquis (1), mais aussi se pencher sur les défis et obstacles pouvant contrer la mise en œuvre effective de cette loi (2).
1) Les avancées juridiques relatives à cette loi
La loi organique contre la violence à l’égard des femmes se définit comme étant une loi intégrale, dans la mesure où elle englobe quatre volets aussi intrinsèques que complémentaires, à savoir la prévention, la protection et la prise en charge des victimes, d’une part, et la traduction en justice des agresseurs, de l’autre. En effet, cette loi comprend des éléments qui sont essentiels pour prévenir la violence à l’égard des femmes, protéger celles qui sont rescapées de violences familiales et traduire en justice les auteurs de ces abus.
En outre, le nouveau texte de loi définit la violence à l’égard des femmes comme « toute agression physique, morale, sexuelle ou économique contre une femme, basée sur une discrimination entre les sexes et lui infligeant des séquelles ou souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris le fait de la menacer d’une telle agression, d’exercer des pressions ou de la priver de ses droits et libertés, que ce soit dans la vie publique ou privée». Cette définition large contient les éléments clés pour définir la violence familiale, tels que recommandés par le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes des Nations Unies.
Par ailleurs, cette nouvelle loi impliquera l’amendement de nombreux textes juridiques en vigueur en Tunisie : Code pénal, Code du Statut personnel, législation sur la protection de l’enfance, droit au travail, mais aussi droit à la santé.
A titre d’exemple, la loi introduit de nouvelles dispositions pénales et augmente les peines correspondant à diverses formes de violence lorsqu’elles sont commises dans le cadre familial. Elle pénalise aussi le harcèlement sexuel dans les lieux publics, l’emploi d’enfants comme employées domestiques et prévoit des amendes pour les employeurs qui discriminent intentionnellement les femmes au niveau des salaires.
Le texte contient aussi des mesures de prévention ; il ordonne au Ministère de la Santé de créer des programmes pour former le personnel médical aux méthodes de détection, d’évaluation et de prévention de la violence à l’égard des femmes et il prévoit de former les éducateurs aux exigences du droit tunisien et international en termes d’égalité, à la non-discrimination et aux façons de prévenir et de contrer la violence, afin de les aider à gérer les actes de violence dans les établissements scolaires.
En outre, la loi prévoit des mesures nécessaires pour assister les rescapées de violences familiales, notamment en leur fournissant un soutien juridique, médical et psychologique. Elle permet aux femmes de demander au tribunal une ordonnance de protection contre leurs agresseurs, sans même passer par une plainte au pénal ou une requête en divorce. Ces ordonnances peuvent, entre autres, exiger que l’auteur présumé de violence quitte le domicile ou qu’il se tienne à distance de la victime et de leurs enfants, ou encore lui interdire de commettre de nouvelles violences, d’émettre des menaces, d’endommager les biens de la victime ou de la contacter.
Enfin, la loi exige la création d’Unités de violences familiales au sein des Forces tunisiennes de sécurité intérieure, qui seront dédiées à la gestion des plaintes pour les violences au sein de la famille et la nomination, dans chaque gouvernorat, d’un procureur qui se consacrera à ce type d’affaires. Le nouveau texte établit aussi la responsabilité pénale de tout agent de cette unité spécialisée qui exercerait des pressions ou toute autre forme de coercition sur une femme pour la forcer à abandonner ou modifier sa plainte.
Par rapport à l’agresseur, cette nouvelle loi modifie certaines dispositions du Code pénal qui favorisaient l’impunité des auteurs. C’est un tournant majeur, en ce qu’elle reconnaît la notion de victime et met sa protection et la restitution de ses droits au cœur de ses préoccupations. Elle met fin à l’échappatoire honteuse permettant à l’agresseur sexuel de mineures de se soustraire aux poursuites en se mariant avec sa victime. Elle fait également de toutes les violences des crimes et délits d’ordre public, en particulier les violences dans le couple dont la notion a été élargie aux ex-conjoints, fiancés et ex-fiancés. Aussi, un devoir de signalement des violences pèse sur toute personne, y compris celle tenue par le secret professionnel, en cas de danger menaçant la victime.
De surcroît, longtemps dénié, l’inceste est nommément désigné. Il constitue une circonstance aggravante du viol et de l’attentat à la pudeur. De même, le consentement possible à un acte sexuel y a été élevé à l’âge de 16 ans alors qu’il était de 13 ans.
2) Les défis et obstacles quant à la mise en œuvre de cette loi
A compter de l’entrée en vigueur de ce texte, les femmes tunisiennes sont mieux protégées de toutes les formes de violence et les agresseurs tenus responsables de leurs actes.
Cette loi consacre, par voie de conséquence, une vision globale incluant prévention, protection et prise en charge des femmes exposées à toutes formes de violences physiques, morales, sexuelles, économiques ou politiques.
Cependant, un certain nombre de défis doivent être contrecarrés, afin de pouvoir faciliter la mise en œuvre effective de cette nouvelle loi. En effet, des contraintes d’ordre politique, financier, socioculturel, peuvent minimiser l’impact de cette loi tant attendue.
D’une part, et relativement aux institutions et organismes qu’il faut créer pour la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, il faudrait que les autorités tunisiennes s’assurent qu’il existe les fonds suffisants et la volonté politique indispensable pour mettre en place les institutions qui permettront de traduire cette loi en véritable protection et assurer la formation du personnel compétent pour ce genre de dossiers. De même, alors que la loi demande aux autorités d’adresser les femmes à des refuges si elles en ont besoin, elle ne prévoit aucun mécanisme pour leur financement, que ce soit pour les refuges gouvernementaux ou ceux gérés par des associations. Elle ne présente aucune disposition pour permettre au gouvernement de fournir aux femmes qui en ont besoin un soutien financier rapide ou une assistance pour trouver un hébergement à long terme. En gros, la loi ne stipule pas comment l’État pourra financer les programmes et les mesures qu’elle met en place.
D’autre part, et pour que la loi entre pleinement en vigueur et que les discriminations envers les femmes soit éliminées, il faut s’assurer qu’il existe une réelle volonté politique de la part des autorités compétentes pour bien appliquer les règles, mais aussi faire évoluer les mentalités des Tunisiens et faire cesser les discriminations à l’égard des femmes, tout en mettant l’accent sur les bienfaits des retombées de cette loi sur le milieu familial et sur la société.
Les femmes subissent des taux élevés de violence familiale en Tunisie, dans le cadre familial mais aussi ailleurs. Le texte, entré en vigueur, permettra certainement de faire des avancées notables dans le cadre de la prévention de la violence à l’égard des femmes.
A part cela, il reste que la sensibilisation des femmes tunisiennes quant à leurs droits est d’une importance cruciale afin de bien faire évaluer les mentalités et aspirer à de meilleures pratiques en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes, un sujet tabou qui reste encore marginalisé et qui fait toujours partie du non-dit. Cette sensibilisation devra toucher un public très large, allant des écoles, aux lycées, facultés, médias, centres médicaux et centres de soins, centres de planning familial, milieux de travail, etc. Ces campagnes de sensibilisation et de communication auront un rôle énorme afin d’éclairer les femmes et les jeunes filles par rapport à leurs droits. Mais le travail de prévention et de sensibilisation passe aussi par la culture et l’art dans toutes ses formes (théâtre, musique, danse, peinture, cinéma, etc.). L’art a toujours eu cette fonction de casser les tabous, d’ouvrir les mentalités et les esprits.
En conclusion, il est indéniable que la loi intégrale interdisant la violence à l’égard des femmes en Tunisie constitue une pierre de plus, ajoutée aux fondations de la Tunisie démocratique. Cette loi est venue bouleverser des dogmes que l’on a cru dépassés, société patriarcale, domination masculine, devoir d’obéissance imposé aux femmes, tout un référentiel sociologique, idéologique et culturel bâti sur la discrimination. Faire changer les mentalités, dépasser les résistances au changement et faire évoluer la société nécessite du temps. Mais le combat continue pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pour la réforme des textes en vigueur et pour reconnaître enfin un statut de dignité aux femmes tunisiennes.
Last Updated: 18 juillet 2018 by Webmaster
Participation à la 38ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies du 18 juin au 6 juillet 2018
Depuis le 18 juin 2018, le CEJA prend part à la 38ème session du Conseil des droits de l’homme avec des interventions orales sur la situation des droits de l’homme en Afrique, notamment sur le Burundi, le République Centrafricaine et la République Démocratique du Congo.
Lire les interventions:
Last Updated: 23 avril 2018 by Webmaster
Rencontre avec le Président de la République Centrafricaine
Le 27 septembre 2017, une délégation du CEJA a pu rencontrer son Excellence le Prof. Faustin Archange Touadéra, Président de la République Centrafricaine, lors de son passage à Genève durant la 36ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Last Updated: 23 avril 2018 by Webmaster
Adoption de la loi organique pour l’élimination des violences de genre en Tunisie
Prof. Hajer Gueldich, Professeure agrégée en Droit international aux Universités de Carthage et de Kairouan- Tunisie
Membre élue de la Commission de l’Union africaine pour le Droit international (CUADI)
Bien que la Tunisie soit considérée comme un pays pionnier en matière de protection des droits des femmes dans le monde arabe, beaucoup de femmes restent victimes de discrimination dans de nombreux domaines et certaines sont soumises à tout genre de violence, comme le prouvent plusieurs statistiques et études nationales et internationales récentes, faites en la matière.
Si la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée en 1993 par l’Assemblée générale des Nations unies, atteste d’une reconnaissance internationale du fait que la violence à l’égard des femmes constitue une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, il n’y avait aucun texte spécifique aux violences familiales en Tunisie, avant la date du 26 juillet 2017.
En effet, en ce jour, une nouvelle loi intégrale (loi organique n°60-2016 du 26 juillet 2017) a été adoptée par l’Assemblée des Représentants du peuple, portant sur l’interdiction de la violence à l’égard des femmes et notamment sur les violences familiales, une loi dont l’idée remonte à 2006 mais qui a pu enfin se concrétiser en 2017, après un long combat initié par les associations et par la société civile tunisienne. Ce fut une étape décisive pour les droits des femmes en Tunisie.
Exigée par la société civile depuis des décennies et prescrite par la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014, selon laquelle « l’Etat s’engage à protéger les droits et les acquis de la femme et œuvre pour les développer (…). L’État prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme» (article 46), l’élimination des violences à l’égard des femmes est maintenant un fait. C’est ainsi que la loi organique du 26 juillet 2017 a été votée à l’unanimité des députés présents, tous unis autour de l’idée que les violences contre les femmes ne sont pas des affaires d’ordre privé, mais elles concernent désormais l’Etat et que leur éradication est garante de la paix et de la sécurité de la société toute entière. Par ailleurs, il faut rappeler que la Tunisie est classée 19ème sur la liste des pays qui ont opté pour une loi intégrale contre la violence de genre et se distingue comme étant la première à l’échelle arabe et africaine.
A étudier ce texte de près, il est primordial de faire le bilan des acquis (1), mais aussi se pencher sur les défis et obstacles pouvant contrer la mise en œuvre effective de cette loi (2).
1) Les avancées juridiques relatives à cette loi
La loi organique contre la violence à l’égard des femmes se définit comme étant une loi intégrale, dans la mesure où elle englobe quatre volets aussi intrinsèques que complémentaires, à savoir la prévention, la protection et la prise en charge des victimes, d’une part, et la traduction en justice des agresseurs, de l’autre. En effet, cette loi comprend des éléments qui sont essentiels pour prévenir la violence à l’égard des femmes, protéger celles qui sont rescapées de violences familiales et traduire en justice les auteurs de ces abus.
En outre, le nouveau texte de loi définit la violence à l’égard des femmes comme « toute agression physique, morale, sexuelle ou économique contre une femme, basée sur une discrimination entre les sexes et lui infligeant des séquelles ou souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris le fait de la menacer d’une telle agression, d’exercer des pressions ou de la priver de ses droits et libertés, que ce soit dans la vie publique ou privée». Cette définition large contient les éléments clés pour définir la violence familiale, tels que recommandés par le Manuel de législation sur la violence à l’égard des femmes des Nations Unies.
Par ailleurs, cette nouvelle loi impliquera l’amendement de nombreux textes juridiques en vigueur en Tunisie : Code pénal, Code du Statut personnel, législation sur la protection de l’enfance, droit au travail, mais aussi droit à la santé.
A titre d’exemple, la loi introduit de nouvelles dispositions pénales et augmente les peines correspondant à diverses formes de violence lorsqu’elles sont commises dans le cadre familial. Elle pénalise aussi le harcèlement sexuel dans les lieux publics, l’emploi d’enfants comme employées domestiques et prévoit des amendes pour les employeurs qui discriminent intentionnellement les femmes au niveau des salaires.
Le texte contient aussi des mesures de prévention ; il ordonne au Ministère de la Santé de créer des programmes pour former le personnel médical aux méthodes de détection, d’évaluation et de prévention de la violence à l’égard des femmes et il prévoit de former les éducateurs aux exigences du droit tunisien et international en termes d’égalité, à la non-discrimination et aux façons de prévenir et de contrer la violence, afin de les aider à gérer les actes de violence dans les établissements scolaires.
En outre, la loi prévoit des mesures nécessaires pour assister les rescapées de violences familiales, notamment en leur fournissant un soutien juridique, médical et psychologique. Elle permet aux femmes de demander au tribunal une ordonnance de protection contre leurs agresseurs, sans même passer par une plainte au pénal ou une requête en divorce. Ces ordonnances peuvent, entre autres, exiger que l’auteur présumé de violence quitte le domicile ou qu’il se tienne à distance de la victime et de leurs enfants, ou encore lui interdire de commettre de nouvelles violences, d’émettre des menaces, d’endommager les biens de la victime ou de la contacter.
Enfin, la loi exige la création d’Unités de violences familiales au sein des Forces tunisiennes de sécurité intérieure, qui seront dédiées à la gestion des plaintes pour les violences au sein de la famille et la nomination, dans chaque gouvernorat, d’un procureur qui se consacrera à ce type d’affaires. Le nouveau texte établit aussi la responsabilité pénale de tout agent de cette unité spécialisée qui exercerait des pressions ou toute autre forme de coercition sur une femme pour la forcer à abandonner ou modifier sa plainte.
Par rapport à l’agresseur, cette nouvelle loi modifie certaines dispositions du Code pénal qui favorisaient l’impunité des auteurs. C’est un tournant majeur, en ce qu’elle reconnaît la notion de victime et met sa protection et la restitution de ses droits au cœur de ses préoccupations. Elle met fin à l’échappatoire honteuse permettant à l’agresseur sexuel de mineures de se soustraire aux poursuites en se mariant avec sa victime. Elle fait également de toutes les violences des crimes et délits d’ordre public, en particulier les violences dans le couple dont la notion a été élargie aux ex-conjoints, fiancés et ex-fiancés. Aussi, un devoir de signalement des violences pèse sur toute personne, y compris celle tenue par le secret professionnel, en cas de danger menaçant la victime.
De surcroît, longtemps dénié, l’inceste est nommément désigné. Il constitue une circonstance aggravante du viol et de l’attentat à la pudeur. De même, le consentement possible à un acte sexuel y a été élevé à l’âge de 16 ans alors qu’il était de 13 ans.
2) Les défis et obstacles quant à la mise en œuvre de cette loi
A compter de l’entrée en vigueur de ce texte, les femmes tunisiennes sont mieux protégées de toutes les formes de violence et les agresseurs tenus responsables de leurs actes.
Cette loi consacre, par voie de conséquence, une vision globale incluant prévention, protection et prise en charge des femmes exposées à toutes formes de violences physiques, morales, sexuelles, économiques ou politiques.
Cependant, un certain nombre de défis doivent être contrecarrés, afin de pouvoir faciliter la mise en œuvre effective de cette nouvelle loi. En effet, des contraintes d’ordre politique, financier, socioculturel, peuvent minimiser l’impact de cette loi tant attendue.
D’une part, et relativement aux institutions et organismes qu’il faut créer pour la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, il faudrait que les autorités tunisiennes s’assurent qu’il existe les fonds suffisants et la volonté politique indispensable pour mettre en place les institutions qui permettront de traduire cette loi en véritable protection et assurer la formation du personnel compétent pour ce genre de dossiers. De même, alors que la loi demande aux autorités d’adresser les femmes à des refuges si elles en ont besoin, elle ne prévoit aucun mécanisme pour leur financement, que ce soit pour les refuges gouvernementaux ou ceux gérés par des associations. Elle ne présente aucune disposition pour permettre au gouvernement de fournir aux femmes qui en ont besoin un soutien financier rapide ou une assistance pour trouver un hébergement à long terme. En gros, la loi ne stipule pas comment l’État pourra financer les programmes et les mesures qu’elle met en place.
D’autre part, et pour que la loi entre pleinement en vigueur et que les discriminations envers les femmes soit éliminées, il faut s’assurer qu’il existe une réelle volonté politique de la part des autorités compétentes pour bien appliquer les règles, mais aussi faire évoluer les mentalités des Tunisiens et faire cesser les discriminations à l’égard des femmes, tout en mettant l’accent sur les bienfaits des retombées de cette loi sur le milieu familial et sur la société.
Les femmes subissent des taux élevés de violence familiale en Tunisie, dans le cadre familial mais aussi ailleurs. Le texte, entré en vigueur, permettra certainement de faire des avancées notables dans le cadre de la prévention de la violence à l’égard des femmes.
A part cela, il reste que la sensibilisation des femmes tunisiennes quant à leurs droits est d’une importance cruciale afin de bien faire évaluer les mentalités et aspirer à de meilleures pratiques en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes, un sujet tabou qui reste encore marginalisé et qui fait toujours partie du non-dit. Cette sensibilisation devra toucher un public très large, allant des écoles, aux lycées, facultés, médias, centres médicaux et centres de soins, centres de planning familial, milieux de travail, etc. Ces campagnes de sensibilisation et de communication auront un rôle énorme afin d’éclairer les femmes et les jeunes filles par rapport à leurs droits. Mais le travail de prévention et de sensibilisation passe aussi par la culture et l’art dans toutes ses formes (théâtre, musique, danse, peinture, cinéma, etc.). L’art a toujours eu cette fonction de casser les tabous, d’ouvrir les mentalités et les esprits.
En conclusion, il est indéniable que la loi intégrale interdisant la violence à l’égard des femmes en Tunisie constitue une pierre de plus, ajoutée aux fondations de la Tunisie démocratique. Cette loi est venue bouleverser des dogmes que l’on a cru dépassés, société patriarcale, domination masculine, devoir d’obéissance imposé aux femmes, tout un référentiel sociologique, idéologique et culturel bâti sur la discrimination. Faire changer les mentalités, dépasser les résistances au changement et faire évoluer la société nécessite du temps. Mais le combat continue pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, pour la réforme des textes en vigueur et pour reconnaître enfin un statut de dignité aux femmes tunisiennes.
Last Updated: 5 juillet 2018 by Webmaster
Quelques réflexions sur la crise politique au Togo
Abdoulaye Nazaire Gnienhoun, Juriste, Chargé de projet ONU et Union Africaine
Depuis quelques semaines, l’opinion africaine et internationale suit avec intérêt la situation politique au Togo. D’impressionnantes marrées humaines, structurées autour d’organisations de la société civile et de l’opposition togolaises, réclament au Président Faure Gnassingbé des réformes constitutionnelles substantielles dont la principale est le retour à la version de la constitution de 1992 qui limitait sans équivoque à deux mandats l’exercice de la fonction présidentielle. L’ambigüité manifeste du nouveau texte est perçue comme une tentative de contourner cette limitation afin de permettre au président actuel de briguer deux autres mandats supplémentaires.
On peut naturellement déduire que l’objectif clairement affiché de ces manifestations est de réunir les garanties d’une alternance politique à la tête du pays en 2020 quand le Président actuel aura alors achevé son dernier mandat et passé 15 ans au pouvoir. Des reformes donc, qui, si elles parvenaient à aboutir excluraient ipso jure ce dernier de la course à la conquête de la magistrature suprême.
On a compris depuis un certain moment que les populations africaines devenaient de plus en plus hostiles à l’exercice du pouvoir à vie ou de modifications constitutionnelles à cette fin.
A y voir de près, la crise togolaise est une bonne nouvelle pour le continent (1). Elle met le Président Faure Gnassingbé devant sa responsabilité historique vis-à-vis de son peuple et de son pays (2) et il faut vivement espérer que les institutions sous régionales et continentales, notamment la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union Africaine, ne ratent pas cette occasion pour peser de leurs poids afin que le Togo ne sombre pas dans le chaos (3).
1. Les manifestations populaires togolaises : une « bonne nouvelle » pour le continent africain
Il ne s’agit nullement d’être cynique au point de se réjouir d’une crise politique dans un pays, loin de là ! Toutefois, les manifestions en cours, au-delà des victimes et de leur impact sur l’image du pays, ont un aspect réjouissant dans le fait que nous sommes en train d’assister peut-être au crépuscule d’une pratique, celle des présidences à vie et des constitutions « charcutées » selon la volonté du Prince qui ont malheureusement conduit à des bains de sang, désolations et ruines sur le continent africain ces trente dernières années. Durant toutes ces décennies, les manipulations constitutionnelles pour rester au pouvoir étaient devenues presque une règle et monnaie courante. De ce point de vue, on peut apprécier à sa juste valeur l’évolution des mentalités africaines car la tendance actuelle à la résistance contre de telles velléités de changements intempestifs des textes constitutionnels démontre clairement une avancée, un changement de paradigme sur le continent qui aspire de plus en plus, à travers surtout sa jeunesse, à une gouvernance démocratique effective, gage de développement de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. Les choses bougent donc, et comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, des secousses politiques d’une telle « magnitude » à l’exemple de celles du Burkina Faso, il y a 3 ans, de la Gambie en début d’année et celles en cours au Togo sont absolument indispensables et surtout souhaitables pour contraindre nos systèmes politiques et nos jeunes démocraties à plus de dégourdissement, à plus d’ingénierie et d’hygiène politiques.
A cet égard, la crise togolaise offre d’heureuses perspectives pour tourner la page d’un système et d’un mode de gouvernance qui n’ont pas réussi à faire leurs preuves en presque 50 ans d’exercice exclusif du pouvoir. Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? Cela dépendra naturellement du sens de la responsabilité du Président Faure Gnassingbé.
2) La responsabilité historique du Président Faure Gnassingbé face à son pays et à son peuple
Le Président Faure Gnassingbé est à mi-parcours puisque son mandat actuel ne devrait prendre fin qu’en 2020 et l’on peut comprendre qu’il puisse prétendre le conduire à son terme. Cependant, cette prétention dépendra largement de la façon dont il gérera la crise actuelle. Il se trouve donc devant une responsabilité historique qui déterminera l’avenir du Togo. D’anciens chefs d’État, comme le Burkinabè Blaise Compaoré, le Gambien Yaya Jammeh, pour ne citer que ces deux, avaient eu la même responsabilité – voire la chance- de se transcender en hommes d’Etat. Mais ils ont raté le coche. La fin tragico-comique de leur régime est suffisamment éloquente et édifiante à ce propos.
Ceci étant, et la raison aidant, il est à souhaiter que le Président Faure Gnassingbé considère à leur juste valeur les aspirations des Togolais et entérine le fait que 2020 est et doit être l’année de la fin de son règne en tant que Président du Togo. Ce serait une grande preuve de courage et de réalisme politique qui lui vaudra sans doute un sort beaucoup plus digne au moment de quitter la tête du pays. Il a donc l’immense opportunité d’entrée dans l’histoire togolaise et africaine par la grande porte.
Pour ce faire, sa démarche devrait cependant être entière, sans faux calculs politiciens et agenda caché. Elle devrait résulter d’une décision définitive, personnelle qui ferait de lui un homme d’Etat visionnaire rompant avec les pratiques de son père.
Il est également à souhaiter qu’il manifeste clairement et publiquement son intention de ne plus briguer un troisième mandat. Pour cela, il devra répondre positivement aux aspirations de respect des dispositions constitutionnelles de 1992 exprimées par l’opposition, la société civile et le clergé togolais.
Se réfugier dans une logique répressive des manifestants avec son cortège de morts et surtout s’arc-bouter à ne pas céder juste un « bout de phrase » dans les réformes constitutionnelles souhaitées c’est hélas, à notre sens, augmenter les risques de tomber dans la catégorie des « malaimés » de la démocratie africaine et de fuir le Togo « en plein midi » comme l’on dit sous nos tropiques et de se destiner à une vie d’exilé avec le remords éternel d’être le rebut de l’histoire.
Mais au-delà des aspirations du peuple togolais, la crise contient une dimension régionale et continentale exigeant que les institutions sous régionale et continentale que sont la CEDEAO et l’Union Africaine s’y investissent et surtout qu’elles saisissent l’occasion pour démontrer leur réelle volonté à respecter les aspirations des populations africaines et les textes panafricains relatifs à la gouvernance et à la démocratie adoptés dans leurs cadres spécifiques.
3) La nécessité pour la CEDEAO et l’Union Africaine de prendre des positions claires
Le silence constaté ou la timidité dans les réactions aux niveaux régional et continental laisse perplexe au regard de l’enjeu tant démocratique que sécuritaire. L’on serait presque tenté de dire que ces institutions laissent échapper de sérieuses occasions pour affirmer leurs autorités communautaires et réaffirmer fermement leurs principes et normes intangibles en matière de démocratie et de bonne gouvernance. La timide réaction des institutions africaines renforce malheureusement l’impression qu’elles ne sont que des caisses de résonance des dirigeants africains plus versées dans des considérations diplomatiques et coupées des aspirations réelles des populations.
Les institutions africaines gagneraient à se rattraper en s’impliquant davantage dans cette crise togolaise appelée à connaître d’autres développements pour que le Togo ne sombre pas dans un chaos total prévisible. Un tel « rattrapage » est possible sous une double condition.
La première condition est relative à la volonté des institutions africaines de se ranger du côté des peuples africains et de leurs aspirations. Elles se doivent d’agir en faveur d’une perception et d’une interprétation normatives conformes aux idéaux contenus dans leurs textes fondateurs.
La seconde condition porte sur l’affirmation effective de l’autorité de ces institutions qui ont intérêt à être fermes et intransigeantes sur les valeurs démocratiques intangibles et non négociables qui s’imposent à tous, notamment aux gouvernements africains qui malheureusement se montrent peu soucieux des intérêts et des aspirations de leurs peuples. Elles gagneraient énormément, à n’en pas douter, en crédibilité et ne seraient pas perçues comme de simples « clubs ou confréries » de chefs d’Etats africains ou de simples coquilles vides.
A ce titre, la CEDEAO et l’Union africaine devraient s’inspirer de la Cour suprême du Kenya pour contribuer réellement aux niveaux régional et continental à l’édification d’une Afrique fondée sur le droit.
Last Updated: 7 juin 2018 by Webmaster
Cours aux diplomates africains dans les sessions de formation de la Geneva Centre for Security Policy
CAMEROUN
Cours aux diplomates Camerounais, promotion 2017
Le 12 décembre 2017, Dr Ghislain Patrick Lessène, Directeur exécutif du CEJA, a animé une session de formation organisée par le Geneva Center for Security Policy (GCSP) à l’intention des diplomates Camerounais. La formation, qui portait sur “ la bonne gouvernance et la migration pour diplomates camerounais ”, a été l’occasion d’analyser les « Systèmes politiques nationaux » et leurs liens avec la bonne gouvernance et la migration. Le Directeur exécutif du CEJA a mis l’accent sur la nécessité pour l’Afrique de se doter de systèmes politiques nationaux solides fondés sur l’intérêt général et des institutions républicaines fiables et déterminées pour prévenir les conflits, source de flux migratoires de la population africaine. Le cours a donné lieu à d’intenses échanges interactifs sur l’état de lieux démocratique du continent de ces dernières années ainsi qu’à l’analyse du rôle moteur que le Cameroun joue actuellement dans la stabilité de l’Afrique centrale.
Last Updated: 7 juillet 2018 by Webmaster
L’Afrique à la 35ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU : Souveraineté des Etats et coopération avec les mécanismes onusiens: une impossible conciliation ?
Clothilde Alves VIEIRA, Juriste, stagiaire au CEJA
Le rideau vient de tomber sur la trente-cinquième session du Conseil des droits de l’Homme qui s’est tenue du 6 au 23 juin 2017 à Genève durant laquelle la protection ainsi que la promotion des droits de l’homme dans plusieurs Etats ont été analysées. Durant ce forum qui privilégie les dialogues interactifs, les coalitions étatiques ont fait rage. Parmi celles-ci, le groupe africain a tenté de s’imposer et ce, parfois à l’encontre d’une coopération avec les mécanismes onusiens en matière de droits de l’Homme. En effet, de plus en plus d’Etats africains avancent un discours de politisation, de subjectivisation et de partialité du Conseil des droits de l’Homme et du Haut commissariat aux droits de l’homme.
L’analyse de la situation des droits fondamentaux dans quatre Etats africains (Burundi, République Démocratique du Congo, Erythrée et Côte d’Ivoire) a été l’occasion de mesurer la position des Etats africains, réunis au sein du Groupe africain.
1. Situation des droits de l’homme au Burundi
La situation des droits de l’homme demeure préoccupante au Burundi. D’un côté, les exactions ainsi que les violations des droits de l’Homme commises au Burundi furent relevées et dénoncées – notamment dans le rapport oral de la Commission d’enquête sur le Burundi présenté par le Professeur algérien Fatsah Ougergouz, président de cette Commission. Pour rappel, celle-ci a été mise en place lors de la session de mars 2017 avec pour mandat d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme consécutives aux dernières élections présidentielles au Burundi. De l’autre côté, les Etats africains ayant pris la parole lors de la présentation du rapport ont non seulement occulté la question des exactions, mais affiché une position, soit en faveur d’un soutien plus prononcé de la communauté internationale au gouvernement du Burundi (ce fût, par exemple, le cas de la Tanzanie et du Soudan) ; soit en faveur d’une procédure régionale mise en œuvre par les Etats africains eux-mêmes pour résoudre la crise politique burundaise ; soit contre la coopération du Burundi avec la Commission d’enquête au motif que cette dernière est politisée.
L’Ambassadeur burundais a notamment remis en cause l’impartialité de la Commission. En effet, l’Ambassadeur Rénovat Tabu, le Représentant de la Mission permanente du Burundi auprès de l’ONU à Genève, a dénoncé le « caractère tendancieux et partial [du] rapport ». Il a estimé que les efforts fournis par le gouvernement burundais pour assurer la sécurité et ainsi protéger les citoyens « [furent] plutôt critiqués et transformés en violation des droits de l’homme par des acteurs internationaux [faisant] entièrement confiance à ce que certains médias et rapports d’ONG leur disent ». Le cadre était donc clairement établi : une coopération entre le gouvernement du Burundi et la Commission d’enquête, pourtant censés œuvrer pour le bien-être du peuple burundais, s’annonçait compliquée, voire même impossible ! L’exemple le plus illustratif de cette complexité est la réaction virulente de la délégation burundaise alors que le Professeur Fatsah Ougergouz détaillait les différents témoignages qu’il avait recueillis de la part de burundais fuyant le pays et relevait les préoccupations de la Commission d’enquête au regard de certains amendements permettant de réviser le code pénal ainsi que le code de procédure pénale burundais. Selon lui, ces amendements permettraient aux forces de l’ordre de procéder à des perquisitions sans mandat, y compris durant la nuit et renforceraient le contrôle sur les courriels. Le représentant du Burundi rétorqua vivement que la réforme des lois était une prérogative souveraine de l’Etat et qu’aucun membre de la Commission ne pouvait y interférer. En réponse, le président de la Commission répliqua, à juste titre, que « le principe de souveraineté implique certes des droits au bénéfice des Etats mais également des devoirs, des obligations ». Selon lui, « les Etats, y compris le Burundi, se doivent de respecter les engagements internationaux qu’ils ont librement, souverainement accepté ». Autrement dit, lorsque le gouvernement burundais ratifie des conventions internationales, il fait souverainement le choix de ne pas légiférer dans un sens contraire à ses engagements internationaux. Les préoccupations de la Commission d’enquête à ce sujet étaient donc fondées et légitimes.
A l’heure actuelle, la Commission d’enquête travaille encore afin que le Burundi accepte de coopérer en vue du dernier rapport qui aura lieu lors de la session de septembre prochain car comme le Professeur Fatsah Ougergouz l’a rappelé, dès lors que cet Etat est membre du Conseil des droits de l’Homme, il est tenu de collaborer avec les mécanismes créés par ce dernier.
Il y a lieu de mentionner que le CEJA et son partenaire Espace Afrique International ont fait une déclaration exhortant tous les acteurs burundais à coopérer efficacement avec la Commission d’enquête ( voir la communication faite par Mlle Clothilde Alves Vieira : http://webtv.un.org/watch/id-commission-ofinquiry-on-burundi-22nd-meeting-35th-regularsession-human-rights-council/5472081326001).
2. Situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo
A l’image du débat concernant le Burundi, le dialogue relatif à la promotion des droits de l’homme en République Démocratique du Congo (RDC) fit l’objet de discussions houleuses dans lesquelles les Etats africains formèrent un bloc s’opposant au rapport du Prince Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-commissaire aux droits de l’homme, qui critiqua notamment l’absence de volonté politique du gouvernement de poursuivre en justice tous les auteurs de violations des droits de l’homme commises, notamment dans la région du Kasaï. Le Haut-commissaire a dénoncé l’armement d’une milice pro-gouvernementale s’étant adonnée à des « attaques épouvantables contre des groupes ethniques », ainsi que les abus commis par des milices adverses menant des attaques ciblées contre des membres des forces armées ou de la police. Il a par la suite exhorté le Conseil des Droits de l’Homme à diligenter une enquête indépendante sur la situation des droits de l’Homme en RDC.
En réponse au rapport, Mme Marie-Ange Mushobekwa, Ministre des droits de l’homme de la RDC, a rejeté les conclusions du rapport arguant d’une instrumentalisation du Conseil des Droits de l’Homme. Elle s’opposa fermement à la proposition de l’ouverture d’une enquête indépendante, affirmant par contre la volonté du gouvernement congolais de poursuivre sa collaboration avec l’ONU en acceptant une équipe d’enquêteurs pour un simple appui technique et logistique ; ces enquêtes devant être menées sous le leadership et contrôle de la justice congolaise.
Du côté du groupe africain, les réactions ne se firent pas attendre. De manière générale, les quelques Etats ayant pris la parole se dirent préoccupés par la dégradation de la situation humanitaire dans le pays. Néanmoins, ils appuyèrent le discours de la ministre congolaise, s’en remettant en grande majorité à la notion de souveraineté. Par exemple, selon les représentants du Togo, de l’Angola ou de l’Algérie, seul l’Etat sur le territoire duquel des crimes ont été commis par ses ressortissants est à même de rendre la justice aux victimes.
Cette position illustre le désir d’une justice rendue par les Congolais et pour des Congolais. Néanmoins, comme l’explique le Haut commissaire lors de son droit de réponse, en pratique, les procédures prennent beaucoup plus de temps qu’elles n’en nécessitent. En l’espèce, les discussions pour élaborer une feuille de route permettant la mise en œuvre d’un programme de coopération entre la RDC et l’Union européenne pour mener une enquête conforme aux normes internationales furent reportées. Puis, finalement, le gouvernement congolais décida que l’enquête contre les auteurs des exactions commises au Kasaï ne débuterait pas avant le 17 juillet 2017 alors même que, selon ZeidRa’ad Al Hussein, le lieu de résidence des principales personnes soupçonnées était connu. Aussi, selon le Haut commissaire, l’invocation de la souveraineté n’implique pas l’indifférence. De son avis, une enquête indépendante extérieure est nécessaire pour mettre fin à l’impunité car aucune justice n’a été rendue à ce jour pour le meurtre de près de 2000 civils.
Finalement, c’est une solution de compromis qui fit l’objet d’une résolution le vendredi 23 juin dernier. En effet, les 47 pays membres du Conseil des droits de l’Homme choisirent de ne pas mettre en place une commission d’enquête indépendante mais de désigner un groupe d’experts internationaux pour enquêter sur les graves violences dans le Kasaï, sous la direction du gouvernement de la RDC (lire la résolution: A/HRC/35/L.36).
3. Situation des droits de l’homme en Erythrée
Les dissensions relatives à la la situation des droits de l’homme en Erythrée furent assez vives.
Madame Sheila Keethruth, Rapporteure Spéciale sur la situation des droits de l’Homme en Erythrée, dénonça notamment le refus de l’Erythrée de coopérer et l’absence de justice qui, selon elle, était la seule à même de « rendre sa prospérité au pays ». Dans un but d’assistance et de retour à la paix, son rapport contenait des recommandations concrètes pour améliorer la situation des droits de l’homme dans cet Etat. Elle conseillait par exemple au gouvernement érythréen de mettre en place un pouvoir judiciaire transparent et impartial, la création de partis politiques et l’organisation d’élections libres et transparentes.
La réponse de la Mission permanente de l’Erythrée fut sans équivoque. Selon cette dernière, le rapport comporterait des objectifs allant à l’encontre des intérêts de l’Erythrée, suscitant,
selon le représentant érythréen, l’indignation. Selon ce dernier, le rapport était fortement politisé en ce qu’il manifestait la volonté de Madame Keethruth de mener une croisade contre l’Erythrée qui ne tiendrait pas compte des souffrances des érythréens et des menaces (principalement éthiopiennes) qui pèseraient sur le pays. De son point de vue, « le Conseil des droits de l’Homme ne devrait pas s’immiscer dans des conflits politiques ou régionaux ». A ce titre, l’Etat érythréen demandait la fin du mandat de la Rapporteure puisqu’elle remettait en cause sa souveraineté.
Du côté des Etats africains, les avis furent mitigés. Par exemple, le Soudan a manifesté sa préoccupation face au manque apparent de transparence du Conseil des Droits de l’Homme et de sa politisation. Le représentant soudanais alla jusqu’à affirmer que les mandats visant des pays spécifiques n’atteignaient pas leur but car ils étaient effectués en violation au principe de souveraineté des Etats et aboutissaient à une plus mauvaise protection des droits de l’homme.
A contrario, Djibouti ou la Somalie exprimèrent leur volonté de renouvellement du mandat de la Rapporteure Spéciale tout en exhortant le gouvernement erythréen à libérer les treize prisonniers de guerre Djiboutiens détenus, selon eux, de manière illégale en Erythrée. Finalement, le Conseil adopta, sans vote, une résolution par laquelle le mandat de la Rapporteure Spéciale sur la situation des droits de l’Homme en Erythrée fut prolongé pour une durée d’un an (lire la résolution: A/HRC/35/L.13/Rev.1).
4. Situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire
Le débat sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire fut totalement différent. En effet, la perspective n’était pas la même. Dans ce cas précis, il s’agissait de débats sur le dernier rapport de M. Mohammed Ayat, l’Expert indépendant sur le renforcement des capacités et de la coopération technique avec la Côte d’Ivoire dans le domaine de droits de l’homme. La mission de l’Expert indépendant ainsi que celle de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) s’étant achevées le 30 juin 2017, le rapport de l’Expert Indépendant fut l’occasion de dresser un bilan de la protection et de la promotion des droits de l’homme dans ce pays. A ce titre, M. Mohammed Ayat constata les avancées enregistrées dans la promotion des droits de l’homme par le pays, et ce, dans tous les domaines. Par exemple, au plan législatif, il félicita l’Etat ivoirien pour l’adoption d’un décret d’application de la loi sur la protection des défenseurs des droits de l’homme. Il estima en outre que la décision du Conseil de Sécurité de mettre fin à la présence de l’ONUCI et celle du Conseil des Droits de l’Homme de mettre un terme à la mission de l’Expert indépendant signifiait que la situation sécuritaire du pays était devenue « normale ».
Néanmoins, des revendications sociales, en partie violentes, ont secoué la Côte d’Ivoire en janvier et mai 2017 et des efforts importants doivent être fournis en ce qui concerne le désarmement et la réforme de la sécurité. Au regard des derniers évènements, la question se posait de savoir si les décisions de mettre fin à l’ONUCI et au mandat de l’Expert Indépendant étaient fondées sur des paramètres objectifs. Selon Mohammed Ayat, la réponse est positive. Il recommanda toutefois un maximum de prudence et de vigilance en particulier dans la perspective des élections présidentielles de 2020 ainsi que la mise en place d’un mécanisme de suivi en matière de droits de l’homme pour aider le gouvernement à promouvoir et protéger les droits les plus fondamentaux.
L’intégralité des Etats africains furent unanimes pour constater que la Commission indépendante avait permis au pays de réaliser des avancées remarquables en matière de reconstruction post crise, établissant dès lors, des perspectives réjouissantes de développement et d’émergence. Assez paradoxalement, le Soudan, qui, lors du débat concernant l’Erythrée, dénonçait le manque de transparence du Conseil et sa subjectivisation, adopta une position tout à fait différente lors du débat sur la Côte d’Ivoire. En effet, il félicita le choix de la Côte d’Ivoire de coopérer avec l’Expert indépendant et d’avoir facilité son mandat et encouragea les efforts du gouvernement de la Côte d’Ivoire pour protéger les droits humains des citoyens. Cette position, qui est celle de nombreux autres Etats, est la preuve de l’ambivalence des points de vue des Etats, qui, d’une part et au gré de leurs intérêts, parlent de politisation du Conseil des Droits de l’Homme en cas de non-coopération et d’autre part félicitent les Etats pour leur collaboration avec l’instance onusienne.
En définitive, les débats relatifs aux Etats africains ont permis de constater qu’une conciliation entre souveraineté et coopération était non seulement possible, mais également nécessaire. En effet, comme l’a démontré le dialogue sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, les différents mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme peuvent porter leurs fruits, mais, encore faut-il que l’Etat fasse montre d’une bonne volonté tant en ce qui concerne leurs missions que la nécessité d’interagir avec eux. Toutes les résolutions et décisions de la 35ème session du Conseil des Droits de l’Homme sont à retrouver sur: http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session35/Pages/ResDecStat.aspx
Last Updated: 8 juin 2018 by Webmaster
Cours aux diplomates guinéens, promotion 2016
Le 13 décembre 2016, le Directeur exécutif du CEJA a animé un cours portant sur les « Systèmes politiques nationaux» organisé par le Geneva Centre for Security Policy (GCSP) à l’intention de diplomates de la République de Guinée.
Last Updated: 7 juin 2018 by Webmaster
Cours aux diplomates Camerounais, promotion 2016
Le 26 septembre 2016, Dr Ghislain Patrick Lessène, Directeur exécutif du CEJA et Monsieur Abdoulaye Nazaire Gnienhoun, Chargé de la recherche documentaire au CEJA, ont pris part à la session de formation organisée par le Geneva Center for Security Policy (GCSP) à l’intention des diplomates Camerounais. La formation, qui portait sur “ la bonne gouvernance et la migration pour diplomates camerounais ”, a été l’occasion pour le Directeur Exécutif du CEJA d’analyser les « Systèmes politiques nationaux » et leurs liens avec la bonne gouvernance. Il a mis l’accent sur la nécessité pour l’Afrique de se doter de systèmes politiques nationaux crédibles et fondés sur l’intérêt général pour prévenir les flux migratoires de la jeunesse africaine vers l’Europe perçue comme un eldorado alors que les réalités sont moins reluisantes et que beaucoup périssent en cours de route. Il a insisté sur l’impérieux besoin de l’Afrique d’être dirigés par de véritables hommes d’Etat visionnaires et déterminés à œuvrer pour le développement du continent en répondant aux besoins fondamentaux des populations africaines.
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