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L’Afrique à la 35ème session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU : Souveraineté des Etats et coopération avec les mécanismes onusiens: une impossible conciliation ?

Clothilde Alves VIEIRA, Juriste, stagiaire au CEJA

Le rideau vient de tomber sur la trente-cinquième session du Conseil des droits de l’Homme qui s’est tenue du 6 au 23 juin 2017 à Genève durant laquelle la protection ainsi que la promotion des droits de l’homme dans plusieurs Etats ont été analysées. Durant ce forum qui privilégie les dialogues interactifs, les coalitions étatiques ont fait rage. Parmi celles-ci, le groupe africain a tenté de s’imposer et ce, parfois à l’encontre d’une coopération avec les mécanismes onusiens en matière de droits de l’Homme. En effet, de plus en plus d’Etats africains avancent un discours de politisation, de subjectivisation et de partialité du Conseil des droits de l’Homme et du Haut commissariat aux droits de l’homme.

L’analyse de la situation des droits fondamentaux dans quatre Etats africains (Burundi, République Démocratique du Congo, Erythrée et Côte d’Ivoire) a été l’occasion de mesurer la position des Etats africains, réunis au sein du Groupe africain.

1. Situation des droits de l’homme au Burundi

La situation des droits de l’homme demeure préoccupante au Burundi. D’un côté, les exactions ainsi que les violations des droits de l’Homme commises au Burundi furent relevées et dénoncées – notamment dans le rapport oral de la Commission d’enquête sur le Burundi présenté par le Professeur algérien Fatsah Ougergouz, président de cette Commission. Pour rappel, celle-ci a été mise en place lors de la session de mars 2017 avec pour mandat d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme consécutives aux dernières élections présidentielles au Burundi. De l’autre côté, les Etats africains ayant pris la parole lors de la présentation du rapport ont non seulement occulté la question des exactions, mais affiché une position, soit en faveur d’un soutien plus prononcé de la communauté internationale au gouvernement du Burundi (ce fût, par exemple, le cas de la Tanzanie et du Soudan) ; soit en faveur d’une procédure régionale mise en œuvre par les Etats africains eux-mêmes pour résoudre la crise politique burundaise ; soit contre la coopération du Burundi avec la Commission d’enquête au motif que cette dernière est politisée.

L’Ambassadeur burundais a notamment remis en cause l’impartialité de la Commission. En effet, l’Ambassadeur Rénovat Tabu, le Représentant de la Mission permanente du Burundi auprès de l’ONU à Genève, a dénoncé le « caractère tendancieux et partial [du] rapport ». Il a estimé que les efforts fournis par le gouvernement burundais pour assurer la sécurité et ainsi protéger les citoyens « [furent] plutôt critiqués et transformés en violation des droits de l’homme par des acteurs internationaux [faisant] entièrement confiance à ce que certains médias et rapports d’ONG leur disent ». Le cadre était donc clairement établi : une coopération entre le gouvernement du Burundi et la Commission d’enquête, pourtant censés œuvrer pour le bien-être du peuple burundais, s’annonçait compliquée, voire même impossible ! L’exemple le plus illustratif de cette complexité est la réaction virulente de la délégation burundaise alors que le Professeur Fatsah Ougergouz détaillait les différents témoignages qu’il avait recueillis de la part de burundais fuyant le pays et relevait les préoccupations de la Commission d’enquête au regard de certains amendements permettant de réviser le code pénal ainsi que le code de procédure pénale burundais. Selon lui, ces amendements permettraient aux forces de l’ordre de procéder à des perquisitions sans mandat, y compris durant la nuit et renforceraient le contrôle sur les courriels. Le représentant du Burundi rétorqua vivement que la réforme des lois était une prérogative souveraine de l’Etat et qu’aucun membre de la Commission ne pouvait y interférer. En réponse, le président de la Commission répliqua, à juste titre, que « le principe de souveraineté implique certes des droits au bénéfice des Etats mais également des devoirs, des obligations ». Selon lui, « les Etats, y compris le Burundi, se doivent de respecter les engagements internationaux qu’ils ont librement, souverainement accepté ». Autrement dit, lorsque le gouvernement burundais ratifie des conventions internationales, il fait souverainement le choix de ne pas légiférer dans un sens contraire à ses engagements internationaux. Les préoccupations de la Commission d’enquête à ce sujet étaient donc fondées et légitimes.

A l’heure actuelle, la Commission d’enquête travaille encore afin que le Burundi accepte de coopérer en vue du dernier rapport qui aura lieu lors de la session de septembre prochain car comme le Professeur Fatsah Ougergouz l’a rappelé, dès lors que cet Etat est membre du Conseil des droits de l’Homme, il est tenu de collaborer avec les mécanismes créés par ce dernier.

Il y a lieu de mentionner que le CEJA et son partenaire Espace Afrique International ont fait une déclaration exhortant tous les acteurs burundais à coopérer efficacement avec la Commission d’enquête ( voir la communication faite par Mlle Clothilde Alves Vieira : http://webtv.un.org/watch/id-commission-ofinquiry-on-burundi-22nd-meeting-35th-regularsession-human-rights-council/5472081326001).

2. Situation des droits de l’homme en République Démocratique du Congo

A l’image du débat concernant le Burundi, le dialogue relatif à la promotion des droits de l’homme en République Démocratique du Congo (RDC) fit l’objet de discussions houleuses dans lesquelles les Etats africains formèrent un bloc s’opposant au rapport du Prince Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-commissaire aux droits de l’homme, qui critiqua notamment l’absence de volonté politique du gouvernement de poursuivre en justice tous les auteurs de violations des droits de l’homme commises, notamment dans la région du Kasaï. Le Haut-commissaire a dénoncé l’armement d’une milice pro-gouvernementale s’étant adonnée à des « attaques épouvantables contre des groupes ethniques », ainsi que les abus commis par des milices adverses menant des attaques ciblées contre des membres des forces armées ou de la police. Il a par la suite exhorté le Conseil des Droits de l’Homme à diligenter une enquête indépendante sur la situation des droits de l’Homme en RDC.

En réponse au rapport, Mme Marie-Ange Mushobekwa, Ministre des droits de l’homme de la RDC, a rejeté les conclusions du rapport arguant d’une instrumentalisation du Conseil des Droits de l’Homme. Elle s’opposa fermement à la proposition de l’ouverture d’une enquête indépendante, affirmant par contre la volonté du gouvernement congolais de poursuivre sa collaboration avec l’ONU en acceptant une équipe d’enquêteurs pour un simple appui technique et logistique ; ces enquêtes devant être menées sous le leadership et contrôle de la justice congolaise.

Du côté du groupe africain, les réactions ne se firent pas attendre. De manière générale, les quelques Etats ayant pris la parole se dirent préoccupés par la dégradation de la situation humanitaire dans le pays. Néanmoins, ils appuyèrent le discours de la ministre congolaise, s’en remettant en grande majorité à la notion de souveraineté. Par exemple, selon les représentants du Togo, de l’Angola ou de l’Algérie, seul l’Etat sur le territoire duquel des crimes ont été commis par ses ressortissants est à même de rendre la justice aux victimes.

Cette position illustre le désir d’une justice rendue par les Congolais et pour des Congolais. Néanmoins, comme l’explique le Haut commissaire lors de son droit de réponse, en pratique, les procédures prennent beaucoup plus de temps qu’elles n’en nécessitent. En l’espèce, les discussions pour élaborer une feuille de route permettant la mise en œuvre d’un programme de coopération entre la RDC et l’Union européenne pour mener une enquête conforme aux normes internationales furent reportées. Puis, finalement, le gouvernement congolais décida que l’enquête contre les auteurs des exactions commises au Kasaï ne débuterait pas avant le 17 juillet 2017 alors même que, selon ZeidRa’ad Al Hussein, le lieu de résidence des principales personnes soupçonnées était connu. Aussi, selon le Haut commissaire, l’invocation de la souveraineté n’implique pas l’indifférence. De son avis, une enquête indépendante extérieure est nécessaire pour mettre fin à l’impunité car aucune justice n’a été rendue à ce jour pour le meurtre de près de 2000 civils.

Finalement, c’est une solution de compromis qui fit l’objet d’une résolution le vendredi 23 juin dernier. En effet, les 47 pays membres du Conseil des droits de l’Homme choisirent de ne pas mettre en place une commission d’enquête indépendante mais de désigner un groupe d’experts internationaux pour enquêter sur les graves violences dans le Kasaï, sous la direction du gouvernement de la RDC (lire la résolution: A/HRC/35/L.36).

3. Situation des droits de l’homme en Erythrée

Les dissensions relatives à la la situation des droits de l’homme en Erythrée furent assez vives.

Madame Sheila Keethruth, Rapporteure Spéciale sur la situation des droits de l’Homme en Erythrée, dénonça notamment le refus de l’Erythrée de coopérer et l’absence de justice qui, selon elle, était la seule à même de « rendre sa prospérité au pays ». Dans un but d’assistance et de retour à la paix, son rapport contenait des recommandations concrètes pour améliorer la situation des droits de l’homme dans cet Etat. Elle conseillait par exemple au gouvernement érythréen de mettre en place un pouvoir judiciaire transparent et impartial, la création de partis politiques et l’organisation d’élections libres et transparentes.

La réponse de la Mission permanente de l’Erythrée fut sans équivoque. Selon cette dernière, le rapport comporterait des objectifs allant à l’encontre des intérêts de l’Erythrée, suscitant,
selon le représentant érythréen, l’indignation. Selon ce dernier, le rapport était fortement politisé en ce qu’il manifestait la volonté de Madame Keethruth de mener une croisade contre l’Erythrée qui ne tiendrait pas compte des souffrances des érythréens et des menaces (principalement éthiopiennes) qui pèseraient sur le pays. De son point de vue, « le Conseil des droits de l’Homme ne devrait pas s’immiscer dans des conflits politiques ou régionaux ». A ce titre, l’Etat érythréen demandait la fin du mandat de la Rapporteure puisqu’elle remettait en cause sa souveraineté.

Du côté des Etats africains, les avis furent mitigés. Par exemple, le Soudan a manifesté sa préoccupation face au manque apparent de transparence du Conseil des Droits de l’Homme et de sa politisation. Le représentant soudanais alla jusqu’à affirmer que les mandats visant des pays spécifiques n’atteignaient pas leur but car ils étaient effectués en violation au principe de souveraineté des Etats et aboutissaient à une plus mauvaise protection des droits de l’homme.

A contrario, Djibouti ou la Somalie exprimèrent leur volonté de renouvellement du mandat de la Rapporteure Spéciale tout en exhortant le gouvernement erythréen à libérer les treize prisonniers de guerre Djiboutiens détenus, selon eux, de manière illégale en Erythrée. Finalement, le Conseil adopta, sans vote, une résolution par laquelle le mandat de la Rapporteure Spéciale sur la situation des droits de l’Homme en Erythrée fut prolongé pour une durée d’un an (lire la résolution: A/HRC/35/L.13/Rev.1).

4. Situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire

Le débat sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire fut totalement différent. En effet, la perspective n’était pas la même. Dans ce cas précis, il s’agissait de débats sur le dernier rapport de M. Mohammed Ayat, l’Expert indépendant sur le renforcement des capacités et de la coopération technique avec la Côte d’Ivoire dans le domaine de droits de l’homme. La mission de l’Expert indépendant ainsi que celle de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) s’étant achevées le 30 juin 2017, le rapport de l’Expert Indépendant fut l’occasion de dresser un bilan de la protection et de la promotion des droits de l’homme dans ce pays. A ce titre, M. Mohammed Ayat constata les avancées enregistrées dans la promotion des droits de l’homme par le pays, et ce, dans tous les domaines. Par exemple, au plan législatif, il félicita l’Etat ivoirien pour l’adoption d’un décret d’application de la loi sur la protection des défenseurs des droits de l’homme. Il estima en outre que la décision du Conseil de Sécurité de mettre fin à la présence de l’ONUCI et celle du Conseil des Droits de l’Homme de mettre un terme à la mission de l’Expert indépendant signifiait que la situation sécuritaire du pays était devenue « normale ».

Néanmoins, des revendications sociales, en partie violentes, ont secoué la Côte d’Ivoire en janvier et mai 2017 et des efforts importants doivent être fournis en ce qui concerne le désarmement et la réforme de la sécurité. Au regard des derniers évènements, la question se posait de savoir si les décisions de mettre fin à l’ONUCI et au mandat de l’Expert Indépendant étaient fondées sur des paramètres objectifs. Selon Mohammed Ayat, la réponse est positive. Il recommanda toutefois un maximum de prudence et de vigilance en particulier dans la perspective des élections présidentielles de 2020 ainsi que la mise en place d’un mécanisme de suivi en matière de droits de l’homme pour aider le gouvernement à promouvoir et protéger les droits les plus fondamentaux.

L’intégralité des Etats africains furent unanimes pour constater que la Commission indépendante avait permis au pays de réaliser des avancées remarquables en matière de reconstruction post crise, établissant dès lors, des perspectives réjouissantes de développement et d’émergence. Assez paradoxalement, le Soudan, qui, lors du débat concernant l’Erythrée, dénonçait le manque de transparence du Conseil et sa subjectivisation, adopta une position tout à fait différente lors du débat sur la Côte d’Ivoire. En effet, il félicita le choix de la Côte d’Ivoire de coopérer avec l’Expert indépendant et d’avoir facilité son mandat et encouragea les efforts du gouvernement de la Côte d’Ivoire pour protéger les droits humains des citoyens. Cette position, qui est celle de nombreux autres Etats, est la preuve de l’ambivalence des points de vue des Etats, qui, d’une part et au gré de leurs intérêts, parlent de politisation du Conseil des Droits de l’Homme en cas de non-coopération et d’autre part félicitent les Etats pour leur collaboration avec l’instance onusienne.

En définitive, les débats relatifs aux Etats africains ont permis de constater qu’une conciliation entre souveraineté et coopération était non seulement possible, mais également nécessaire. En effet, comme l’a démontré le dialogue sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, les différents mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme peuvent porter leurs fruits, mais, encore faut-il que l’Etat fasse montre d’une bonne volonté tant en ce qui concerne leurs missions que la nécessité d’interagir avec eux. Toutes les résolutions et décisions de la 35ème session du Conseil des Droits de l’Homme sont à retrouver sur: http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session35/Pages/ResDecStat.aspx